Laisse-le te dévorer la chair
Vendredi soir, minuit.Mon unique rendez-vous hebdomadaire avec vous, lecteurs chéris, le seul moment de la semaine où je peux sans inhibition m'adonner à mon péché mignon, comprenez soliloquer pendant des heures sans qu'on ne m'expédie à Barchid . Barchid est un endroit très chouette comme seul mon pays en a le secret. A Barchid, pour juger de l'état mental de quelqu'un, on le descend dans un puit où le niveau de l'eau n'est pas trop haut (il ne faudrait pas qu'il se noie tout de suite, quand même), et puis on lui balance un seau sans fond. Ensuite, le thérapeute crie au présumé-crazy :"Allez, remplis le seau". Deux cas de figure se présentent alors : le puisatier improvisé tente désespérément d'accomplir sa tache, échoue et se suicide en avalant le seau, ce qui prouve indubitablement sa folie. Ou alors, il renvoie le seau à la djeule du bon docteur, accompagné de milles gracieusetés du type "Al hmar, ajjiffa ran ji nhouik kharajni menahna oula n3iyit lbouliss", ce qui pourrait se traduire approximativement par "Euh, fait un peut frisquet ici. Quelqu'un aurait-il l'obligeance de me lancer une échelle? Avec des barreaux, l'échelle, s'il vous plait." On ne peut que s'agenouiller devant ce miracle de finesse psychologique. Mon pays regorge d'endroits un peu zarbes, comme cet immonde petit patelin , cicatrice sur la face du Maroc, Bejaad , terre-patrie d'un réalisateur aux rêves pour le moins curieux (bonhomme en slip en train de sauter sur ses vêtements, ascète poursuivi par le chevalier Antara bnou chadad)... Autre exemple, cette petite bourgade cise à une trentaine de bornes de Meknes-la-pustule et absente de toutes les cartes routières. Et pour cause .Selon Mr Lazi, cette vraie-fausse petite ville est le lieu de rendez vous des homosexuels du pays. C'est quand même assez fou quand on y pense. Non, parce que dans mon pays, l'homosexualité est un crime passible de prison. Et ça rigole pas, pensez, nous sommes en terre d'Islam. Ben dans cette ville-là, les homosexuels ont le droit de se marier , tout dans la tradition, avec les témoins, la chaise à mariée et tout le tremblement. Noël Mammère devrait se délocaliser au Maroc. Bien évidemment le tout est sous étroite surveillance policière, celà va sans dire. Le truc c'est: est-ce que c'est moins pire d'avoir à assumer sa nature dans une zone close, comme une bête de foire dans un zoo, ou de se faire tèje en taule parce que de toute façon, les mentalités sont restées bloquées sur la case Intolérance ?
Mais il n'est pas question de disserter ici des multiples contradictions de mon pays, ses sympathiques cocasseries comme ses absurdités les plus affligeantes, sujet passionnant s'il en est. En fait, il n'est pas question de disserter du tout, du moins pas ce soir. Demain, je vais disserter sur un truc chiant et chiant et mille fois chiant: un sujet de philosophie chiant. Détrompez-vous, ce n'est pas un pléonasme. En tout cas pas pour moi. Ce sont peut-être des lieux communs, mais il n'empêche que j'aime l'effort auquel m'oblige la philosophie. J'aime cette façon qu'elle a de m'amener à considérer les choses sous un autre angle. J'aime le fait que, contrairement aux idées reçues, ce soit une discipline de la précision, où chaque mot est une clé. J'aime par dessus tout qu'on me montre combien ce que je crois est faux, ou pauvre, ou imprécis. J'aime le fait que chaque prise de parole soit un risque de dire une énormité. J'aime dire des énormités, même si je ne le fais pas (toujours) exprès. Mais ce que je n'aime pas, dans la philosophie qu'on m'enseigne au lycée, c'est justement son côté scolaire . Et plus précisément les sujets de disserte à la con, genre je pose une question pour faire joli . Ou chai pas, c'est peut être parce que je n'y entends que pouic. Nan mais jugez par vous-même, c'est quoi cette question à la con ?:" QUE DONNE-T'ON A DONNER SA PAROLE ?". Ben moi qui suis bête et/ou simplette et/ou remplie de bon sens, ma réponse tient en deux mots : sa parole. Bien entendu, tu t'imagines bien que je ne vais pas dire ça sur ma copie. D'abord c'est con (mais c'est du niveau de la question, je trouve) en plus, je vais pas gaspiller une copie double pour écrire deux mots. La vérité, je ne rendrais jamais ça parce que je sais qu'en philo, aucune question n'est jamais débile et que c'est à moi de me remuer les neurones. Mais putain qu'est-ce que c'est difficile !
A part ça, j'ai une interro d'histoire lundi. Sur la Vème république, De Gaulle, Miterrand, Chirac, la cohabitation toussa . C'est assez cool comme cours, je trouve. Sérieux, vous avez de la chance vous, les Français, d'avoir une histoire qui pourrait servir pour le script d'une télénovéla brésilienne. Untel trahit Untel pour s'associer avec Untel, l'Autre, qui démissionne parce qu'on a pas dit oui à son projet de réforme, le troisième qui empoisonne les présidents pour gouter à l'ivresse du pouvoir en gouvernant par intérim... C'est passionnant !'Fin y'a ptètre le fait que notre prof te raconte le truc comme il relaterait l'épisode 21 de Prison Break, celui où Michael Scofield va (encore) embrasser Sarah .(Mais quand coucheront-ils ensemble ?)Nous on a que des nazeux sans sel et notre histoire est d'autant plus inintéressante. Même à l'indépendance, ils savaient faire que se disputer , et vas-y que je te crée 50 partis, et le roi patati, et le sultan machin chose, et le premier ministre bidule, et le résistant truc et le traité d'Aix-les Bains (Ouarit écrit Aix Leiben...Subit désir de Lben (lait caillé) ou crasse ignorance de l'orthographe ?). Que des noms, c'est ça notre histoire !En tout cas, c'est ça le programme officiel. Quel ennui ! Celà mis de côté, quelque chose m'inquiète un poil en histoire géo. Il reste un peu moins de 7 semaines, à raison de 4 heures de cours hebdomadaires, avant la fin officielle des cours. Or il ne reste pas moins de 5 leçons encore même pas abordées. Sachant qu'on en a fait 9 en 6 mois, il me semble mathémathiquement impossible de terminer le programme, à moins de bâcler affreusement les leçons, ce qui ne sert strictement à rien sachant qu'on est obligés de repasser après et de "fréquenter notre manuel" pour combler les trous, pour ne pas dire les ravins qu'on a laissés en route.
Mais comme dit notre cher professeur, "tout ira bien". Il vaut mieux se dire que ce n'est pas qu'un voeu pieux .Bref. Hier soir, il y avait ciné-club et, un ciné-club spécial, puisqu'il s'agissait d'un film MrCéien. D'habitude les films de Mr C oscillent entre génialissime et à mourir d'ennui. Que les extrêmes. Citizen Kane appartenait à la première catégorie,qu'en sera t'il pour Le Guépard, Il Gattopardo en italien, grande fresque historique de Luchino Visconti ? Bon, honnêtement, je n'ai pas accroché. Tu vois, à force de fréquenter le ciné-club, tu deviens sensible aux plans,à la façon de filmer, fin toussa quoi. Ben déjà de ce point là, j'ai trouvé qu'il était assez commun. Les plans étaient pas mal, je ne dis pas. Mais pas plus que ça quoi. En plus l'histoire est assez bof .Un riche aristocrate sicilien,comprenant que les jours de la féodalité sont passés, assure le mariage de son neveu Tan-crade avec la fille canon d'un maire pété de thune mais assez plouc, Don Calogero (face à la mer).Nan mais sérieux, trois heures où il ne se passe quasiment que dalle, c'est trop long. Notre prof nous dit: "Le film se termine avec une scène de bal qui dure 30 min". Pendant le film, moi: "Allez, faites-le votre bal, qu'on en finisse!". La scène de bal arrive. Moi: "Ouaii, plus qu'une demi heure, chouette !". Une demie heure plus tard. Moi: "Mais il veut pas se terminer , ce film, ou quoi ?". Coté acteurs c'est confirmé, Alain Delon a toujours été moche, Claudia Cardinale toujours splendide. Une découverte pour moi: Burt Lancaster, que je ne connaissais pas, incarne la Classe personnifiée ( enfin derrière Bob Redford dans Proposition Indécente, cela va sans dire). Le truc que j'ai adoré, ce sont les dialogues. Pour parler vulgairement (ce que je fais depuis le début de ce post, mais bon), ils déchirent leur race. Sinon, y avait un truc assez marrant. Y'a un prof de français qui a regardé le film aussi. Tu vois genre super cultivé, super sérieux, super chiant. Pendant la discu qui suit le film. A Mr C: "Tu crois qu'elles ont compris la dichotomie entre Angélitruc et Conchibidulette ?". Ce qui veut dire :"Tu crois que ces débiles ont pigé un truc à cette merveille filmique, ou est-ce comme donner de la confiture à des cochons ?". Il n'est pas habitué au ciné-club. Normalement , on parle sérieux 5 minutes et on rigole tout le reste du temps. Mais bon, ça changeait agréblement, de tenir une conversation à peu près correcte un peu plus de 5 minutes. La semaine prochaine, c'est Blue Velvet. Apparament, c'est un film assez délirant, avec tout un tas de métaphores dedans. Notre autre prof va pouvoir nous offrir ses interprétations fabuleuses, qui te laissent bouche bée, tellement c'est intelligent. Mr P voit tout , entend tout, capte tout, analyse tout. Il a l'esprit d'un tueur en série.
Là il est tard. Mais cet internat où je vis a l'art de te bousiller ton horloge biologique bien comme il faut. J'arrive plus à dormir tôt, et je ne peux plus rester endormie tard. A 7 heures du mat, j'ouvre les yeux, même le samedi-dimache ! Quand à la bouffe, je te raconte pas. N'importe quel diététicien n'ayant pas eu son diplôme dans un Kinder, comme celle qui officie à Paul Va, s'arracherait les cheveux en voyant notre alimentation. Y'a des jours où je ne prends rien de la journée sauf un Mc Do à midi, d'autres où je me nourris exclusivement de sucreries, comme Hansel et Gretel, bref c'est porte nawak.
Bon, je sais qu'il y a les élections toussa, mais la j'en ai ras les mimines de taper. Suite demain soir, si j'ai le courage. Ah oui, et y'a le bal de promo aussi. Ca part contre, je ne peux pas le louper...
Bonne nuit, gens d'ici et d'ailleurs !
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