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Le blog de la ranulphette
3 septembre 2006

Les tribulations d'un chômeur à Casablanca (part ouane)

Où la fée profite de ce qu'elle a passé l'été à nourrir les stats du tourisme interne pour vous parler un peu de son bô pays et des gens qui y vivent.

Le tout est de ne pas te réveiller trop tôt. Si tu ouvres les yeux et que tout est encore gris, c'est raté. Six-sept heures du matin, c'est l'horreur, l'angoisse d'une journée entière à meubler.Partout d'autres que toi se lèvent, se brossent les dents, s'habillent... Leur journée est un projet. Ils savent très précisément ce qu'ils vont faire, où ils seront à onze heures, comment se passera l'après-midi. Un contrat à rédiger, une voiture à désosser, des clients à recevoir. la rumeur de la ville qui s'éveille monte à lui, comme un bourdonnement déchiré parfois par un cri, un appel, la pétarade d'une moto...Lui c'est Reda (apellons le come ça tant qu'à faire). A cette heure, il voudrait être mort.

Il a fait traîner le petit déjeuner autant qu'il a pu. Le cousin est au travail, l'appartement est vide. Et si il allait faire un tour ? La galerie du Twin Center, dans le Maarif. C'est frais, c'est propre. Il se colle aux vitrines. Les articles de sport, surtout, le fascinent. Nike, Reebok, Adidas, Puma...Il y a des posters grand format. Michael Jordan. C'est un noir .Il joue au basket. Reda se dit qu'il aurait pu lui aussi.Mettre un ballon dans un panier. Peux pas être moins bon qu'un noir non ?Zidane. Ile est fort. Français.Algérien. Si j'avais joué au foot, pense-t'il encore, j'aurais été aussi fort que lui.Qu'est-ce qu'il a de plus que moi ? C'est un Algérien non ?C'est du côté d'Oujda ,l'Algérie, parait-il. Machin le cousin y est né. Et là c'est qui ? André Agassi! Tennis. J'aurais pu être un grand joueur de tennis. Si javais appris. Maudits parents, ils ne nous ont rien appris. Tiens il porte une boucle d'oreille cet André. C'est mignon. Faut que j'essaie. Un jour.

En sortant de la galerie, Reda fait un détour par le Café Marcel Cerdan. IL y joue au flipper. Reda Machin, champion du monde de flipper. Il est le meilleur. On fait cercle, on l'admire. Ping, bong tchac !Jamais tilt... Il a des parties gratuites. Il y a des femmes presques nues peintes sur le flipper, on ne les voit plus à force. Ping!Ping! Dommage que le café soit vide, personne n'a vu qu'il a gagné dix parties gratuites.Grâce au flipper, Reda n'a pas vu le temps passer. Il est deux-heures de l'après-midi. Il va au cinéma.Il n'y a que des films de karaté. Il sort, il plane, il a envie de casser la gueule au premier venu haaaah iiaaaah tchac manchette sur le cou de ce connard gras qui m'a bousculé tout à l'heure, bon c'est peut-être moi qui l'ai bousculé, c'est la même chose...Il me regarde de travers. Quoi ? Il ne sait pas qui je suis ?Reda Machin, le maître du kung-fu ?Toute ma famille massacrée par des pirates quand j'étais môme. J'ai passé dix ans dans un monastère à apprendre les coups qui tuent et le cri qui paralysent.Je vais me venger. Terrible mon regard, le gros s'en va. Sale pirate, il l'a échappé belle, je l'aurais tué.Il y a aussi des films érotiques dont toutes les scènes ont été coupéees pa la censure, mais juste une demi seconde trop tard, à chaque fois on a eu le temps d'apercevoir une fesse, un morceau de cuisse. La salle hurle, siffle fiiiiiiiii fiiiiiuuuu .Deux femmes jouent au tennis il n'y a même pas le son, qu'est-ce qu'on s'en fout. La caméra s'attarde sur les jupettes qui s'envolent puis tiens, l'une se déshabille carrément. Fiiii fiuuuuu, ça ne dure qu'un quart de seconde, la censure veille, mais on presque tout vu. Fiuuuuuuu on n'a rien vu en fait. Merde !La salle gronde, c'est la grande frustration . Mais voilà un couple , sans transition, un couple sur un lit. Ils s'embrassent, houuuuhouuuuu! Hé sa main !Sa main! Elle est où ? Elle est houuuouuu... Hé ! C'est un bout de sein, là ma parole j'l'ai vu on l'a tous vu hein les gars ?Indubitable ! Là sur l'écran rhân aaaaah fuiiiii toute la salle hurle, ça trépigne âââââh putain je ne peux plus me retenir rhâââ.

Dehors il fait enore jour. Des films comme ça, on devrait interdire ,pense Reda. On est en pays musulman non ? Il n'a jamais mis les pieds dans une mosquée mais bon quand même.... Tiens, si j'allais voir du côté de Mers-Sultan . A Mers-Sultan, il y a l'importateur exclusif des voitures allemandes.Des BMW. On dit des béhèmes et on se tait. On admire à travers la vitrine. On n'est plus rien.Ce volant, il le sens pourtant, sans le toucher. REda se cale dans le siège en cuir, ferme les yeux, laisse reposer son coude sur la portière...Ses copains d'enfance l'admirent sans oser venir lui parler. IL a fait fortune en Hollande, trafics divers, le voici de retour avec une béhème. Ah non , pas la Hollande au fait ! Les plaques d'immatriculation sont jaunes, très vilaines. Reda fera fortune en Allemagne, les plaques sont plus belles, noires et blanches,très classe. Attends, qu'est-ce que je vois un Jaguar à côté de la BM ! Reda revient au pays dans une Jaguar.Enfoncés, les immigrés dans leurs vieilles Mercedes. quels cons, toutes des anciens taxis leurs bagnoles, les sièges arrières sont enfoncés d'avoir trimballé un million de culs d'Allemands.Et même les BM, bah, c'est bidon, il y en a plein avec l'argent de la drogue, du hasch... Tandis qu'une Jag! Les larmes lui viennent aux yeux. On le respectera, on l'admirera. Jeunes vierges soumises les yeux baissés...Les flics salueront, virils ,raides, ébahis, l'uniforme flambant neuf. Sur la Corniche, dans ma Jaguar, je roule très lentement, c'est moi le roi.

Reda s'éloigne à pas lents. Dans une rue perpendiculaire à l'Avenue Hassan II, un magasin. Alimentation générale. Pour la centième fois, Reda se raconte la blague de Brahim le Berbère qui , s'étant avisé que son cousin Ali avait un commerce d'alimentation générale à Casablanca, en monta un, lui aussi qu'il baptisa Brahimentation générale.Ha ha ha. Reda s'esclaffe. Ah les cons ! Ayant jeté un coup d'oeil dans le magasin, il cesse de rire. L'épicier est assis derrière le comptoir, courbé, les yeux vagues. Il est jaune, ce Brahim-là, la peau parcheminée, malade...Toute la journée derrière le comptoir à attendre ?Attendre, attendre, attendre...Que le corbeau devienne blanc, que l'âne monte à l'échelle, que le sel fleurisse...Comment ils font ? C'est ça la vie ?Inquiet, Reda shoote dans un caillou sui se trouve devant lui, inutile. De trop.

C'est peut-être moi qui suis de trop.

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Commentaires
M
Merzi : - )
F
zoli récit :-)
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